Chachou et Johan Admin
Nombre de messages : 95 Date d'inscription : 22/10/2008
| Sujet: P.Bourdieu : "La misère du monde" Seuil, 1993 Dim 26 Oct - 14:14 | |
| Pierre Bourdieu retourne sur le terrain et, avec «la Misère du monde», risque une sociologie de la souffrance dans la société éclatée. Un livre-outil et un acte politique. L'objet est si beau qu'il ne livre pas, de prime abord, sa construction savante et sophistiquée. La jaquette, couleur paille, masquant l'habituelle et froide couverture de la collection, n'annonce rien de «beau» en effet : la Misère du monde, sous la direction de Pierre Bourdieu. Le titre secret, le véritable objet du livre, se lit dans ces caractères rouges, en surimpression, qui, grossis, «mangent» tout le reste. Au centre : souffrance — lisez : la souffrance en France. En haut et en bas: (silence), parole, parle — entendez : dans ce livre de presque mille pages, la parole est donnée à ces souffrances silencieuses que la misère empêche le plus souvent de s'exprimer. Vu le nom du directeur de l'ouvrage, on n'attend ni une méditation philosophique ni une analyse psychologique de ce qui fait souffrir. C'est bien de sociologie qu'il s'agit. Une sociologie de la pauvreté ? Un peu, certes. Mais le pari est tout autre, qui, réussi, donnerait à la sociologie une «capacité» que n'auraient pas les autres sciences humaines : explorer et rendre «visibles» les misères de position. Ces souffrances souvent impalpables qui tiennent au mauvais réglage des rapports entre les individus. Non pas les souffrances horizontales, de condition, propres à une classe, à un groupe, mais des souffrances verticales qui, à l'intérieur d'une même catégorie, d'un même groupe, frappent les individus situés au bas de l'échelle, ou à une place qui ne correspond pas à leurs expectatives. Souffrances individuelles, donc, et en même temps «sociales». L'auteur des Héritiers n'est ni médecin ni simple «dénonciateur» apitoyé du sort de ces «déshérités». Mais il fait voir. Et nomme, sinon les responsables, du moins les «aveugles». D'abord les hommes politiques, qui ne savent plus intervenir sur une société qu'ils ont contribué à transformer en pire. Ensuite les médias, qui finissent par décrire ou mettre en scène moins la réalité sociale que leur propre regard besogneux sur elle. La Misère du monde est un livre gigogne où les modes de traitement s'emboîtent. Parce que, au premier abord, c'est un recueil de récits de vies sous forme d'entretiens, parfois plus proches de la littérature ou (horreur !) du journalisme que d'une analyse scientifique. Ensuite parce que, dans cet ouvrage collectif (1), les «préambules» aux entretiens sont chargés non seulement de ramasser les différentes thématiques et de leur donner une épaisseur historique, mais surtout de déployer la cohérence des concepts et des instruments de la «sociologie critique». Ce livre est surtout un acte politique dans le sens qu'accordait Durkheim à la démarche sociologique tout entière : constituer un savoir «réflexif» qui permette à la société d'intervenir sur elle-même. Car le constat de la Misère du monde, malgré les apparences, n'a rien de désespérant : «Ce que le monde social a fait, le monde social peut, armé de ce savoir, le défaire.» ( http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/misere/libe0293.html) Réserver ce livre | |
|